Muna Kalati : Parlez-nous de vous. Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre carrière ? Pourquoi vous êtes-vous intéressée au monde des livres de jeunesse ? Est-ce un choix ou un coup du sort ?
Nahida Esmail : J'ai fait mes études secondaires à Dar es Salam, puis j'ai poursuivi mes études supérieures au Royaume-Uni. J'ai obtenu une licence en psychologie. De nature aventureuse, j'ai ensuite décidé d'apprendre l’aviationdans l'espoir de devenir pilote. Après avoir obtenu ma licencede pilote, je suis retournée au Royaume-Uni pour obtenir un Master en Développement de l'enfant, avec une spécialisation en Education de la petite enfance.
Toujours à la recherche de ma voie, je me suis retrouvée en Égypte pour faire l'Arabe et les études islamiques. Pendant mon séjour, j'ai fait la rencontre d’un homme, je me suis mariée et j'ai déménagé en Afrique du Sud. J'ai commencé à collectionner les livres avant même d'être enceinte de ma première fille. Je voulais que mes enfants lisent de bons livres provenant du monde entier. Je vivais en Afrique du Sud à cette époque et lorsque je suis rentrée définitivement en Tanzanie, j'ai été déçue par le manque de bons livres de lecture. C'est alors que j'ai décidé d'écrire des ouvrages auxquels mes enfants pourraient s'identifier. Je suis mère de trois filles (dont une est ma nièce). J'aime l'escalade, j'ai gravi le Kilimandjaro deux fois et j'ai écrit deux romans pour jeunes adultes centrés sur le Kilimandjaro. J'ai également escaladé le Mont Fuji, le Mont Damavand, le Mont Toubkal, le camp de base du Mont Everest et le Machu Picchu. J'espère écrire d'autres histoires sur l'alpinisme.
Muna Kalati : Quels sont les premiers livres de jeunesse que vous avez lus ? Étaient-ils africains ? Y a-t-il des auteurs de votre enfance dont vous vous souvenez ? Qu'est-ce que ces lectures vous ont apprisespendant votre enfance ?
Nahida Esmail : J'ai grandi en lisant et en aimant Brer Rabbit d' Enid Blyton et je suis tombée amoureuse de la série Famous Five and the Secret Seven. C'est à travers les livres de cette auteure que j'ai commencé à lire. Quant aux livres africains, ils n'étaient pas facilement accessibles, et ce jusqu'à ce que je sois beaucoup plus âgé. Les livres sud-africains étaient cependant disponibles, mais il était difficile de faire le lien avec l'apartheid. Je me souviens que lorsque j'avais environ 16 ans, nous avions une semaine de lecture africaine et c'était la première fois que je lisais des livres d'Afrique de l'Ouest et que j'aimais les histoires parce que je pouvais m'y identifier. À 18ans, dans le cadre du programme de baccalauréat international, nous avons lu The Gunny Sack de M.G. Vassanji, un écrivain kenyan vivant au Canada, et j'ai pu vraiment m'identifier à cette histoire. C'était probablement le premier livre de fiction que j'avais lu, écrit par un Kenyan.
Muna Kalati : Supposons que vous organisez un dîner gala dans le domaine littéraire. Quels sont les trois écrivains, morts ou vivants, que vous inviteriez et pourquoi ?
Nahida Esmail :JK Rowling - j'aimerais savoir d'où lui viennent réellement ses idées - en a-t-elle rêvées ? A-t-elle d'autres pouvoirs que nous ne connaissons pas ?
Shakespeare - pour savoir ce qui l'a poussé à écrire en énigmes et pourquoi il ne pouvait pas utiliser un anglais plus simple. Ses œuvres ont rendu notre vie d'étudiants difficile.
Khaled Hosseini- pour m'apprendre à écrire.
Muna Kalati : Quel est votre genre préféré et qu'est-ce qui vous touche le plus dans une œuvre littéraire ?
Nahida Esmail : C'est une question difficile car j'aime différents genres. J'aime ‘L'Alchimiste’ The Alchemist de Paulo Coelho parce que c'est un livre plein d'espoir où les rêves deviennent réalité. J'aime la science-fiction, les histoires fantastiques, la fiction historique, les mémoires, la littérature de jeunesse, la fiction pour jeunes adultes, les biographies. Comme vous pouvez le constater, j'aime différents genres et ce que je veux lire dépend de mon humeur. Parfois, cela dépend de l'histoire que je suis en train d'écrire, car cela m'incite à lire un certain genre.
Muna Kalati : Combien de livres de jeunesse avez-vous publiés à ce jour ? Pouvez-vous les citer ? Aimeriez-vous que Muna Kalati fasse une analyse ou une critique de ces livres ?
Nahida Esmail : J'aimerais beaucoup que Muna Kalati fasse une analyse ou une critique de mes livres. J'ai publié une trentaine de livres qui vont des livres d'images pour enfants aux manuels scolaires. Certains sont disponibles gratuitement en ligne. Voici quelques-uns de mes titres pour les livres d'images et les œuvres de fiction pour jeunes :
Bahiya the Little Zebra’‘Bahiya le petit zèbre’ (Brittle Paper List of Children’s books by African Writers 2021)
Mr. Zebra goes to the Market‘M. Zèbre va au marché’
Toby the giraffe‘Toby la girafe’
The Lunch Box ‘La boîte à lunch’
Gida the baby Elephant ‘Gida, l’éléphanteau’
Rina the grey Rhinoceros‘Rina, le rhinocéros gris’
Foxy Joxy plays a trick (free online) ‘Foxy Joxy joue un tour’ (gratuit en ligne)
I am Bakari‘Je suis Bakari’
Fiction pour jeunes adultes :
Zamda’s Kilimanjaro Journal (free online on World reader app) ‘Le Journal de Zamada sur le Kilimandjaro’ (gratuit en ligne sur World reader app)
The Detectives of Shangani – The Mystery of the Lost Rubies‘Les détectives de Shangani - Le mystère des rubis perdus’
Living in the Shade‘Vivre à l'ombre’
Living in the Shade: Aiming for the Summit(1 prize for Burt Award) ‘Vivre à l'ombre: viser le sommet’ (1er prix du Burt Award)
Karafu a Freed Slave‘Karafu, un esclave libéré’
Lessilie the city Maasai‘Lessilie le Maasai de la ville’
Muna Kalati : Comment faites-vous la promotion de vos livres ? Comment le public voit-il votre travail ?
Nahida Esmail : Mes éditeurs font une grande partie de ma promotion, et j'essaie de faire la promotion sur mes pages de réseaux sociaux ou de parler de mes livres lorsque je suis invitée à des endroits pour donner une conférence. Mes livres ne sont pas très connus du public. La raison pourrait en être que les étudiants se concentrent sur les livres qui font partie de leur programme scolaire et que mes livres ne font pas partie de ce programme.
Cependant, je suis tombé sur une thèse écrite sur mes livres ou sur mes livres mentionnés dans certains ouvrages. Cela signifie que mes livres ont atteint un public que je ne connaissais pas. J'ai été agréablement surprise lorsque je suis tombée sur une thèse écrite par Moikan Senyi intitulée ‘Social values in young adults’ novels: A study of selected works by Nahida Esmail.’ "Les valeurs sociales contenues dans les romans pour jeunes : Une étude d'une sélection d'œuvres de Nahida Esmail".
Muna Kalati : Vous êtes lauréate de plusieurs prix littéraires Burt. Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez été présélectionnée et déclarée lauréate ? Comment les prix que vous avez reçus ont-ils aidé à promouvoir vos livres et à donner une plus grande visibilité à votre travail ?
Nahida Esmail : Ma première histoire, ‘Living in the Shade’, a été écrite en un mois, car c'est à ce moment-là que j'ai appris l'existence de ce prix. Aussi, lorsque j'ai été sélectionnée, ma première réaction a été un choc ! Puis j'ai réalisé que je pouvais contribuer à la scène littéraire en Tanzanie.
Le prix Burt a été le plus grand catalyseur de ma reconnaissance en tant qu'écrivaine, car il concernait plusieurs pays d'Afrique : le Ghana, l'Éthiopie et le Kenya. Cela signifie que les lauréats du prix Burt étaient également mentionnés dans ces pays. Le prix Burt offrait les avantages suivants : il imprimait 5000 exemplaires des titres gagnants, en distribuait 3000 aux écoles locales et en laissait 2000 pour que l'éditeur les vendent. Mes titres ont donc été distribués dans des écoles de Tanzanie. La question est de savoir si les livres ont été lus ou s'ils sont restés sur l'étagère à prendre la poussière car ils ne faisaient pas partie du programme scolaire.
Muna Kalati : Quels sont les difficultés et les obstacles que vous avez rencontrés ? L'accès aux éditeurs a-t-il été facile ? Est-il possible de vivre uniquement de ce métier ?
Nahida Esmail : Il existe de nombreux obstacles à l'écriture en Tanzanie, l'un d'entre eux est qu'il n'est pas facile d'être publié. En général, les éditeurs recherchent des livres qui leur rapportent un bénéfice et des histoires de fiction, s’ils ne sont pas considérés comme faisant partie du programme scolaire, alors ils ne se vendent pas bien sur le marché. Par conséquent, ils ne seront pas intéressés à les publier.
Il n'est pas possible de gagner sa vie uniquement en écrivant ! En tout cas, pas encore ! L'argent des droits d'auteur est insuffisant. Il peut y avoir de nombreuses raisons à cela et l'une d'entre elles pourrait être que nous ne nous intéressons pas assez aux écrivains locaux.
J'écris pour de nombreuses raisons : J'ai le sentiment de pouvoir rendre à la société ce qu'elle m'a donné en racontant des histoires, car les histoires se perpétuent de génération en génération. J'écris parce que je veux faire la différence. J'écris parce que je trouve cela thérapeutique. J'écris parce que nos enfants ont besoin d'entendre des histoires auxquelles ils peuvent s'identifier.
Muna Kalati : Que pensez-vous de la situation générale des livres et de la lecture dans votre pays ? En Afrique ? Avez-vous des propositions pour améliorer sa gestion ?
Nahida Esmail : Depuis l'année dernière, des choses se passent sur la scène littéraire en Tanzanie. On peut dire qu'après que les restrictions de la COVID-19 soient levées, le pays s'est réveillé et a compris que la lecture est le moyen de parvenir à une société alphabétisée et qu'une société alphabétisée est porteuse de grands progrès. Le père de la nation, Mwalimu Nyerere, était un lecteur et un écrivain passionné et le gouvernement a lancé cette année un concours d'écriture pour promouvoir la littérature swahilie. Tanzania International Book Fair‘La Foire internationale du livre de Tanzanie’ aura lieu cette année et le lauréat du prix Nobel 2021, Abdulrazak Gurnah est d'origine tanzanienne. Les choses évoluent donc dans le bon sens. Des conférences d'écrivains sont organisées dans toute l'Afrique.
Il existe de plus en plus de prix pour les écrivains africains. Je suis juge pour Wakini Kuria Children’s Literature Prize ‘le prix Wakini Kuria de littérature de jeunesse’ et nous recevons des candidatures de partout en Afrique.
Muna Kalati : Quelle est votre vision de l'avenir de la littérature de jeunesse dans votre pays ?
Nahida Esmail : L'Afrique a une riche culture du conte et j'espère que beaucoup de ces histoires seront transcrites par les enfants d'Afrique. Nous avons encore des niveaux élevés de pauvreté et d'analphabétisme qui, nous l'espérons, disparaîtront avec une meilleure qualité d'éducation. L'objectif est d'abord d'augmenter le nombre de lecteurs et de faire en sorte que les enfants aiment lire, puis l'avenir de la littérature de jeunesse sera très prometteur.
Muna Kalati : Qu'est-ce qui vous a motivé à devenir un sponsor à vie du African Teen Writers Award ?
Nahida Esmail : J'ai une fille de 15 ans et j'aimerais la voir écrire un jour. On reçoit en retour ce que l'on donne au monde. J'espère que cela encouragera beaucoup d'adolescents africains à écrire et que les taux d'alphabétisation grimperont en flèche. Nous avons tellement d'histoires non racontées et de voix non entendues sur le continent et j'espère que cela incitera plus de stylos à écrire.
Muna Kalati : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent explorer leurs talents et s'exprimer par l'écriture ?
Nahida Esmail : Je pense que la détermination est l'essentiel. Beaucoup d'écrivains naturels ne croient pas en eux-mêmes et ont une grande peur de l'échec. Un écrivain doit avoir un mental fort car les gens peuvent émettre des commentaires négatifs. Si vous le prenez à coeur, vous cesserez d'écrire pour toujours.
Muna Kalati : Un dernier mot ?
Nahida Esmail : Jouons tous un rôle, même si c'est à petits pas, pour créer une meilleure culture de la lecture en Afrique. La culture de la lecture créera de bons leaders et nous pourrons diriger le monde.