NOTE DE LECTURE
Par
Marius Yannick BINYOU BI HOMB
Le Mvet à l’épreuve des industries culturelles et créatives est une réflexion de près de 150 pages du Dr. Narcisse Fomekong Djeugou sur la contribution de la culture au développement endogène de l’Afrique et à l’émergence de nouvelles pratiques artistiques et culturelles.
L’auteur, prolixe, spécialiste des nouvelles voies de l’oralité, donne échos à sa voix en tant que philologue, socio-anthropologue et expert de l’outil théorico-opératoire dénommé « oralistique ». C’est dire l’art de puiser dans les pratiques socio-culturelles les valeurs artistiques de l’être ou de la chose. Ou que dirai-je ? L’art de ressusciter en ce qui semblerait artistiquement mort, la raison d’être d’une plus-value culturelle.
Le jeune écrivain, qui rame savamment à califourchon entre le paquebot du patrimoine et la caravelle des industries culturelles et créatives (ICC), serait à l’origine de la découverte, tel un explorateur du nouvel âge, de la recette qui permettrait aisément de transformer un patrimoine d’office non-marchand en un bien marchand capable de conserver ses valeurs intrinsèques, même si exposé au marché de la concurrence, pour ne pas dire des ICC.
Ainsi, l’œuvre, de même que son objet, serait à l’image de son auteur, entre plusieurs aires, sphères, courants et époques. Constat qui nous obligerait, dans le cadre de cet exercice, d’aborder premièrement l’objet, son contenant et son contenu, puis le sujet créé et incréé.
L’ouvrage abordé du prisme de la matière abhorre le noir, un champ chromatique regroupant les teintes les plus obscures. Le titre en blanc apporterait une lueur d’espoir dans un lieu où le spectre de la lumière n’est plus visible. Comme une sorte de combat entre la mort et la vie, entre le royaume des morts et celui des vivants. L’outil Mvet en bois, signe de la nature et de sa muette neutralité, engendrerait la symbolique d’un mariage harmonieux et parfait entre les traditions et la modernité en situation de contraste.
Si le titre, à lui seul, aurait suffi à matérialiser la pensée juste de l’orateur-logographe dans l’arène du Mvet, le surtitre « Culture et développement » détermine, comme un phare, le champ d’intervention de l’œuvre pour les non-spécialistes.
Un regard curieux sur la table des matières donne à percevoir que l’œuvre repose sur trois composantes majeures : La première : le mvet comme un bien historique et patrimonial (1) ; la seconde : Le mvet comme potentiel bien marchand avec des incidences environnementales; la troisième : le mvet comme un projet social pour la mise en scène du patrimoine oratoire du peuple Fang-Béti-Bulu. Ainsi, l’œuvre jouit-elle du mérite de charrier, dans un train unique et authentique, les wagons de la recherche fondamentale et ceux de la recherche-action.
La première composante de l’ouvrage, étudie l’origine du terme « Mvet » jusqu’à sa patrimonialisation. Entre instrument à cordes, style musical traditionnel, genre littéraire épique, philosophie ou religion, il serait un héritage commun, participant de l’imagerie et de l’intelligentsia collective de quatre peuples du Golfe de Guinée : Les Fang du Gabon, les Fang de la Guinée Equatoriale, les Fang du Congo-Brazzaville, puis les Beti-Bulu du Cameroun, tout de même qu’il soit pratiqué dans l’Etat de Sao-Tomé et Principe. Au cœur des origines du Mvet, la saga héroïque et mythologique du peuple Ekang et les immortels guerriers de la cité d’Engong, portée par le « wakanda » Akoma Mba dont une maison d’édition locale contemporaine en serait l’éponyme aujourd’hui.
Ainsi, l’on distinguerait trois types de Mvet : Le Mvet bibone qui est le Mvet des amoureux; le Mvet historique et héroïque Mvet ngubi ; et la geste des Immortels d’Engong dit Mvet Ekang.
La seconde partie de l’ouvrage quant à elle se dresserait au-dessus des épopées mvettiques pour explorer les implications socio-économiques et environnementales du Mvet comme un potentiel bien marchand endogène. L’auteur part de ses dix années de réflexion et de sa formation comme expert en développement culturel à l’Université Senghor d’Alexandrie, en Egypte, pour proposer des pistes de marchandisation de l’objet en relations avec d’autres sous-secteurs des ICC tels l’industrie musicale, l’artisanat d’art et quelques dynamiques culturelles. Ce, en accordant un point d’honneur à la consécration de nouveaux modèles ou cadres d’expression au Mvet. D’où sa proposition originale empreinte d’anglicisme le « Mvet center », qui selon l’auteur, je cite, « pourrait assurer une fonction de courroie entre les Mvestises des différents pays, être une structure pouvant aider les Etats à mieux appréhender les phénomènes culturels interétatiques liés à l’histoire, en tant que centre de conservation du patrimoine immatériel, d’éducation et de transmission d’un savoir et d’un savoir-faire porteurs de l’identité bantoue. » (p. 95)
La seconde partie de l’ouvrage serait ainsi consacré à l’opérationnalisation de la pensée « mvettique » comme catalysatrice de richesses artistiques, culturelles et sociales en vue d’un projet à but multiple : la préservation et la mise en scène d’un patrimoine très peu exploré. Une sorte de structure multifonctionnelle ayant pour mission de sauvegarder et de mettre en valeur le Mvet (p.102-103).
In fine, si l’ouvrage dans son ensemble brille par sa simplicité et son originalité, il n’en demeure pas moins que la délicatesse de la mise en scène d’un patrimoine identitaire unique comme un bien marchand poserait un problème que la présente réflexion ne pourrait aborder en quelques lignes. D’où le retour d’ascenseur à l’auteur, qui, grâce à des références bibliographiques riches et fournies, à sa grande maîtrise des langues, a pu produire un corpus digne des écrivains de la nouvelle génération, migrant comme les pères créateurs du Mvet autrefois, entre plusieurs espaces, plusieurs territoires, plusieurs outils, mais aussi et surtout plusieurs langues.
Felicitades ! Felicitationes Doctor !
Dschang, le 12.12.2022
Binyou
Ecrivain, expert en oralité, promoteur culturel