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Encourager les enfants amoureux des lettres à écrire…

Interview avec Chimène Kouékeu Ngoukam, propos recueillis par Hermann Labou pour Muna Kalati.

Biographie   

Chimène Kouékeu Ngoukam commence à écrire, dès son plus jeune âge, des poèmes et des nouvelles. Elle se laisse influencer par la cause des personnes vivant avec un handicap, en particulier  des autistes et  produit son premier livre Mara l'enfant autiste en 2020, publié par les éditions Akoma Mba. A côté de la littérature, Chimène est marketiste et communicatrice de profession; elle prend plaisir à exercer dans plusieurs autres domaines dont le développement durable et l'art numérique. Elle met un point d'honneur à être bénévole pour plusieurs associations et ONG telles que Great Minds Empire, Reading Classrooms. Dans l'optique de vivre sa passion littéraire, elle s’investit dans le  collectif La Pharm'Art-Cie des Mots où entre autres elle développe son penchant pour le slam. Chimène marque davantage son intérêt pour l'autonomisation et l'inclusion de la personne vivant avec un handicap en initiant le projet associatif Dare Autism Inclusion, sous l'aune duquel elle participe à la Foire Internationale sur l'Autisme le 17 décembre 2022. L'auteure de Mara l’enfant autiste compte bien continuer à user des mots pour créer de nouveaux horizons tant dans la littérature jeunesse qu'adulte.

Parlez-nous de vous, de votre parcours scolaire, de vos expériences d'enfance, y compris votre exposition culturelle et votre environnement. Comment ces expériences ont-elles influencé vos valeurs et votre vision de la vie ?

J’ai eu un cursus scolaire assez normal, avec la petite touche paternelle qui faisait passer le CEP au CM1 et passer au CM2 avant de faire le concours d’entrée en 6. J’ai été au Lycée de la Cité des palmiers puis au Collège La Conquête de Douala où j’ai passé mes diplômes du Secondaire. Ensuite, j’ai obtenu mon Bachelor in Journalism and Mass Communication à l’Université de Buea. Puis, j’ai hésité entre l’ESSTIC et l’IRIC. Ma passion pour le marketing demandait à être davantage nourrie. J’ai alors décroché mon master en Relations Internationales option Marketing International à L’IRIC. Je continue de me former en ligne ou en présentiel dans plusieurs domaines dont l’Art Numérique. 

Une de mes plus belles expériences d’enfance c’est lorsque nous, enfants vivant dans la même ruelle, finissions de jouer dans l’aire de jeu de notre quartier, nous nous rassemblions le soir, près du portail d’un voisin, et là nous nous partagions les expériences de nos journées. Nous nous racontions des histoires pour certaines sorties de nos lectures, pour d’autres venant tout droit de notre imagination, nous parlions de nos rêves. A la maison, nous avions une multitude de livres que je feuilletais souvent enfant, de science moderne et traditionnelle, d’histoire, et de stylisme. Et ce carnet de notes de mon père où étaient inscrites des citations. Je les récitais souvent. C'est en classe de Terminale que j’apprends la philosophie et je redécouvre certains de ces auteurs que je connaissais déjà. « La patience est l’art d‘espérer », Vauvenargues. J’ai redécouvert cet auteur en Philosophie, mais déjà sa citation susmentionnée a édifié mon enfance.

L’exposition culturelle ne concerne pas que la littérature mais aussi la chanson, la musique, que mes ainé.e.s écoutaient en boucle à la radio. Nous étudions même en fond de musique (Rires). 

On écoutait de tout, les classiques français en passant entre autres par le RNB, la  Pop,  le Rock n Roll, le Zouk et toutes les sonorités d’Afrique, du Cameroun le Makossa, Benskin, le Bikutsi, etc. Entre amies, on ne ratait pas les ballets, parmi lesquels   Grace Decca. (Rires) 

C’est bien plus tard que je me laisse séduire une fois pour toute par le chant choral. Les sonorités folkloriques; le gospel et le classique (le grand incompris mais qui subjugue). La peinture, le dessin des arts que j’ai apprécié mais de loin, tant on les mystifiait avant. Mais là ça va, le mur du mythe est tombé et je les apprécie encore davantage.

J’ai grandi dans un environnement serein aussi bien sur le plan familial qu’amical. Mon enfance est marquée par l’assiduité aux études, le visa nécessaire pour aller jouer sans encombre, jeux qui m’ont offert des moments d’épanouissement entier. Je pense avoir gardé un peu cette tendance joyeuse bonne enfant en dépit de la maturité que la vie impose. Ces expériences culturelles m’ont fait accorder autant de valeur à l’école qu’à la nécessité d’être en contact avec l’art. Le quotidien de l’adulte actuellement dans notre société peut le pousser à perdre un peu d’âme; mais au contact de l’art il y’a cette remise en question qui nous bouscule dans le processus de création d’une œuvre transcendantale qui nous fait garder le nord. Mon parrain dans l’art, que j’ai décrété pour l’heure, Goddy Leye disait : «  l’art est certes une fantaisie mais une sérieuse fantaisie.»

Grandir en communauté, et  rester joviale en dépit des défis, m’a donné une vision de la vie axée sur l’humain et l’expression de l’essence de l’humanité. Tout ce que nous accomplissons n’a de sens que si cela participe à offrir le meilleur de nous pour créer le meilleur autour de nous. Comme nous restons perfectibles nous devons nous ajuster continuellement mais rester en marche chacun dans le ou les domaine.s  dans le.s quel.s nous exerçons. 

S'il y avait une chose que vous pourriez changer dans la façon dont les parents africains élèvent leurs enfants, quelle serait-elle et pourquoi ?

Il faut que nous, parents détections très tôt les talents des enfants et accompagnions dans le processus de développement de ces talents ! L’école, c’est important mais il y a ce génie inné dans un domaine particulier que chaque enfant a, qui porte la mission intrinsèquement liée à son existence qui pourra influencer sa vie et même celles des autres. Il faudrait aussi pour chaque jouet offert y ajouter un livre. La lecture permet à l’enfant de découvrir le monde, de se définir  et de se projeter en ce qui concerne sa place dans le monde. 

Ceci est important pour la transformation de la société. L’enfant c’est la base ! 

 Aimiez-vous lire dans les premières années de votre vie ? Quels sont les livres pour enfants que vous avez lus quand vous étiez jeune et comment ont-ils influencé vos valeurs et vos croyances? Avez-vous eu l'occasion de lire des livres écrits par des auteurs africains? Que pensiez-vous de ces livres lorsque vous étiez enfant?

Oui j’ai aimé lire dès les premières années de ma vie. 

Avant que la littérature jeunesse africaine ne prenne un envol pareil en ces temps,  je lisais comme beaucoup, Blanche Neige, La Belle aux bois dormant, le petit chaperon rouge, et bien d’autres livres réputés de la même catégorie. Des livres de contes: africains, de la Cuillère cassée, de la Cuillère perdue, L’os de Morlam… 

En grandissant vinrent les œuvres littéraires africaines imposées aux programmes.

Plusieurs de ces livres mettent en avant des enfants dans des conditions peu idoines.  C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles j’ai développé ce penchant pour les personnes vulnérables. Ce que je pensais de ces livres? A vrai dire rien. Je les ingurgitais et ils faisaient partie de moi. Mais, je restais intriguée sur où les auteurs avaient pris de telles inspirations. Je crois aujourd’hui avoir eu accès à la réponse à cette question. C’est un murmure.

  L'écriture est une compétence essentielle dans la vie, mais beaucoup la trouvent difficile à maîtriser. Comment avez-vous développé l'amour de l'écriture? Est-ce quelque chose que vous faites facilement? Quels sont les conseils d'écriture que vous aimeriez partager avec nous?

Je ne peux pas dire que j’ai développé l’amour pour l’écriture. Je crois fermement qu’en choisissant pour moi comme prénom Chimène, en se référant à Chimène du Cid de Corneille, mes parents ont scellé mon sort. J’ai commencé à écrire des poèmes. J’étais, peut être le suis-je encore, très introvertie, j’y écrivais des textes d’incomprise de révolte, souvent d’amour, de joie, de foi. Puis des nouvelles. Le style a évolué au fil du temps. Mais j’avoue que je garde un penchant pour l’ancien français, mordicus (sourire).Je vois certes aujourd’hui aussi la nécessité d’inculturation africaine de contexte, de langues maternelles africaines et autres éléments de culture.

Ecrire pour moi n’est ni facile ni difficile. Ecrire, c’est choisir d’exister par les mots et se laisser porter par eux. Depuis l’enfance c’est juste une manière d’être pour moi, si c’est facile ou difficile d’être, la question ne se pose pas, j’existe. Quiconque m’a connu assez tôt m’a vu  toujours scotchée à un livre, surtout  à un stylo. (sourire) Mais le plus complexe dans l’écriture, c’est de perdre le contrôle et laisser le murmure guider ma plume, des images des sons qui me poussent dans un voyage, pénible souvent émotionnellement, en terre inconnue spirituellement, mais un voyage qu’il faut faire parce que les mots c’est le commencement de ce qui peut être. Au commencement était le verbe… D’où je dis souvent que j'écris pour créer de nouveaux horizons. L’authenticité. A chaque personne qui m’approche avec un souci dans l’écriture, j’insiste sur ce point. Un texte peut avoir la beauté de la technicité et de l’agencement, mais c’est l’authenticité  avec laquelle nous marquons nos mots qui crée un texte qui transcende le temps et l’espace, le temps d’une lecture un moment qu’en tant qu’auteur on espère éternel.

Vous êtes l’auteure de l’œuvre Mara, l’enfant autistequ’est-ce qui vous a motivé dans la production de cette œuvre ? Êtes-vous particulièrement intéressée par la question du handicap dans la littérature de jeunesse ?  Que pensez-vous de cette problématique ? 

Ce qui m‘a motivé à écrire Mara…?  Alors que je poursuivais mes études à Yaoundé, vivait près de chez nous une famille d’où sortait un garçon. Je le voyais faire les courses à la boutique sereinement, puis à d’autres moments je le rencontrais dans les artères du quartier très hagard comme absent et inconscient de ce qui l’entourait. Je l’ai observé ainsi amplement et au final j’ai demandé à sa grande sœur si son frère avait un quelconque problème. Elle me parla de l’autisme. C’était en 2012. Ma première fois d’entendre parler de cet handicap. J’ai fait des recherches sur le sujet. Mais ce qui m’a le plus ému c’est que le jeune garçon était au préalable pris en charge mais après le suivi à cette époque n’était ni aussi poussé aujourd'hui à Yaoundé  ni à la portée de tous, et donc il ne suivait plus aucun encadrement. J’étais triste. Je me sentais surtout impuissante, et même coupable d’avoir ce que la vie m’a offert, sans être consciente tout ce temps de ce que les autres pouvaient vivre comme difficultés. Alors, comment participer à susciter la conscience de tous?  J’avais le désir de parler de ce phénomène qui m’a touché, de ces familles souvent désemparées, de leur vécu que nous ignorons. Et pourtant, nous pouvons y faire face ensemble !

Je suis particulièrement intéressée par la question du handicap dans la littérature jeunesse, le handicap hante mes mots jour et nuit et décide de la direction de mon stylo. Je pourrais écrire une thèse ou un mémoire sur la problématique du handicap dans la littérature jeunesse. Cependant, en quelques mots je pourrais dire qu’il est essentiel pour nous d’aborder le sujet. Pourquoi ? Parce que chacun de nous en réalité porte un handicap,  ce truc que nous portons en nous qui nous fait voir le monde différemment, qui nous pousse souvent malgré nous à être différent ! Accepter la différence de l’autre c’est s’accepter soi-même, et au final admettre « Acknowledge » qu’il n’y a pas de différence et vivre plus sereinement en incluant l’autre dans notre existant, dans la société globalement.Pour arriver à ce niveau de conscience, il faut éduquer les tout-petits très tôt pour un monde plus harmonieux. Ainsi,  parler du handicap dans la littérature jeunesse est une fatale nécessité. 

Quels sont les difficultés et les obstacles que vous avez rencontrés ? L'accès aux éditeurs a-t-il été facile ? 

Pendant le processus de rédaction de Mara, j’ai eu une hésitation. Il est vrai que 2012, année pendant laquelle je découvre l’autisme et 2020 année d’écriture de l’histoire, je me suis nourrie de plusieurs informations sur l’autisme, cependant je me demandais si c’était assez pour l’écriture, si les mots étaient justes pour traduire cette histoire que j’ai portée seule pendant des années. Etait-ce le moment d’accoucher ? Mais Mara criait fort en moi et j’ai fini par écrire et envoyer à la maison d’édition. Mara a pris vie sans ombrage et sans difficulté. C’était un appel à textes de la maison d’édition Akoma Mba à publier à compte d’éditeur. J’y ai répondu et l’histoire de Mara a été sélectionnée. Merci aux Editions Akoma  Mba d’avoir cru en Mara. 

Vous avez une formation dans le domaine de la communication et du Marketing. Comment faites-vous la promotion de  votre livre ?Quelle est la réception de votre travail auprès du public ?  Avez-vous des stratégies à proposer aux acteurs de la littérature de jeunesse pour mieux communiquer sur les productions destinées aux enfants  ?

Je fais la promotion de mon livre déjà à travers le marketing direct, préciser lorsque c’est opportun l’existence de Mara l’enfant autiste à des rencontres, mais aussi sensibiliser sur l’autisme en référant Mara comme livre à lire pour avoir une perception différente, en mettant l’accent sur la nécessité pour les enfants à être éduqués sur la question.  Cela passe aussi par la promotion de la visibilité de Mara par le digital et l'événementiel. Mara est très bien accueillie par le public. Je suis souvent émue par les témoignages de comment elle a transformé des vies, en les informant sur l’existence de l’autisme tout en leur rappelant que ce n’est pas une fatalité. Je remercie le public pour l’accueil chaleureux de ma petite Mara dans leur vie. Mara c’est l’Amour.

Comme stratégies à proposer pour une meilleure communication sur les œuvres de la littérature jeunesse,  je dirai d’abord de maximiser sur les autres villes outre que Douala et Yaoundé. De nombreux jeunes n’ont pas l’opportunité dans des zones périphériques d’avoir des productions littéraires facilement à leur portée. Aussi, nous pourrions mettre l’accent sur la digitalisation des œuvres, à l’aune de la mondialisation internet est un puissant outil de communication et de distribution. 

Que pensez-vous de la situation générale du livre et de la lecture dans votre pays ? En Afrique ? Avez-vous des propositions à faire pour améliorer sa gestion ?

A contrario de ce qui se dit couramment, les camerounais lisent. Le livre et la lecture sont bien partis au Cameroun, mais nous pourrions mieux faire en revoyant les prix à la baisse. Nous avons des productions de livres pour enfants d’autres pays qui reviennent au lecteur à des prix hyper abordables. J’ignore l’ingrédient clé pour arriver à un tel résultat, serait-ce une subvention des intrants par l’Etat pour la production littéraire papier ? Ou une plus grande mutualisation des efforts des acteurs ? Ce qui demeure c’est que le potentiel en matière de littérature du Cameroun est énorme mais nos livres doivent être plus compétitifs sur le marché ! 

  Quelle est votre vision de l'avenir de la littérature pour enfants au  Cameroun et au-delà ?

L’avenir de la littérature jeunesse s’annonce très brillant, plusieurs auteurs, éditeurs et  lecteurs s’y intéressent davantage. Un des principaux défis serait d’encourager les enfants amoureux des lettres à écrire. Une littérature jeunesse par les jeunes eux même. 

Comment voulez-vous contribuer au projet Muna Kalati ?

Déjà je tiens à féliciter les activités de Muna Kalati, c’est un véritable atout pour la littérature jeunesse africaine. Je reste ouverte en tant qu’actrice de la littérature, selon l’aptitude et la disponibilité à accompagner l’initiative. 

Si vous deviez vous décrire en trois mots, quels seraient-ils ?

Si vous le permettez je vais m’aventurer à répéter quelques mots glanés dans mon entourage : Intelligente – Empathique - Exigeante

Un dernier mot? 

Je vais vous prendre au mot et dire un mot en dernier : Oser.

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