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Les femmes sont guerrières depuis des siècles - Marianna Bracks

Telle fut lathématique de la conversation avec Marianna Bracks (Universitaire, Auteure de Pouvoir des Reines africaines) organiséele samedi 10 Décembre 2022, lors du Salon du Livre de Jeunesse et de la Bande Dessinée de Yaoundé (SALIJEY), organisé par Muna Kalati et Akoma Mba au Cameroun. Ladite interview a été modérée par Dr Narcisse Fomekong (Expert en développement social et culturel, Enseignant-Chercheur, Co-fondateur de Muna Kalati). Suivons ensemble l'intégralité de l’interview.

Dr Narcisse Fomekong (NF) : Qui est Mariana Bracks?

Pr Marianna Bracks (MB): Mariana Brack  est professeure d'histoire africaine et d'histoire de la culture afro-brésilienne à l'Université fédérale de Sergipe. Elle a effectué un stage postdoctoral à l'Université Federal de Minas Gerais (UFMG), Brésil, en 2019. Également, elle est titulaire d’un Master et d’un Doctorat en histoire sociale obtenu à l'Université de São Paulo (USP).

A son actif plusieurs livres, à savoir,Nzinga Mbandi e as guerras de resistência em Angola (Mazza Edições, 2015); Ginga de Angola: memórias e representações da rainha guerreira na diáspora (Brazil Publishing, 2019); Poderosas Rainhas africanas, et Rainha Ginga: guerreira de Angola (Ancestre, 2015). Ce dernier est une bande dessinée pour enfants et adolescents. 

Elle est aussi la  Coordinatrice du Groupe d'Etudes et de Recherches en Histoire de l'Afrique et de la Diaspora Africaine (Ananse.GEPHADA) à l'Université Fédérale de Sergipe et du projet éducatif KIZOMBA DOS SABERES : le portail de la culture Afro-Sergipe, orienté vers la production de ressources didactiques basées sur les valeurs noires.

NF: Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à la rédaction du livre Poderosas Rainhas africanas? 

MB: Ce qui m'a motivé à écrire ce livre est le profond manque de connaissances sur l'importance des femmes dans les processus historiques du continent africain. Depuis la formation du premier État Kemet dans l’Égypte ancienne, les femmes occupent une place importante. Elles ont été entendues, respectées et ont participé à la vie politique en occupant d'importantes positions dans les sphères de décisions publiques. Les femmes sont même le fondement du pouvoir politique, si on s’en tient  au mythe fondateur d'Ausset, la reine mère dont le symbole est un trône.

Je crois qu'il est essentiel de récupérer la trajectoire de ces femmes qui ont commandé des États, des armées, des institutions économiques et religieuses, pour s'opposer à la soi-disant oppression qui est perçue aujourd'hui. Nous devons comprendre que l'exclusion des femmes de l'espace politique est une conséquence des invasions européennes, de l'imposition de religions étrangères. Ce n'est pas un fait naturel, ce n'est pas quelque chose qui a toujours été comme ça.

NF: Comment s'est faite la rédaction ? Avez-vous eu besoin de mener une enquête, rencontrez des reines en Afrique?

MB: J'ai étudié la vie de la reine Njinga d'Angola lors de mes cursus de maîtrise et de doctorat. J'ai publié deux livres sur elle et une bande dessinée, destinée aux enfants et aux adolescents. Chaque fois que je  parlais de cette femme guerrière, il me semblait qu'elle était une exception, une chose très rare et différente pour une femme qui commande des États et des armées. Mais plus on étudie l'histoire africaine, plus on se rend compte que Njinga n'a pas fait exception. Il existe de nombreuses autres femmes qui ont occupé ces postes de direction politique et militaire depuis l'Antiquité, par exemple les reines Kandaces de Kush, Amanirenas, Amanishaketo, qui ont vaincu l'Empire romain au 1er siècle

Depuis 2008, quand j'ai commencé mes recherches sur Njinga, j'ai noté des références à d’ autres femmes, encore assez méconnues, alors j'ai décidé d'en sélectionner 30 pour composer le livre. Ce livre est le résultat d'une recherche postdoctorale que j'ai commencé en 2019, après mon retour de recherche au Sénégal, où j'ai pris connaissance de l'histoire de Ndate Yalla et Aline Sitoe Diatta. Cela m'a amené à réfléchir sur l'importance des femmes dans l'histoire africaine.

Ainsi, le livre est le résultat d'une recherche approfondie sur le concept de matriarcat, tel que proposé par Cheikh Anta Diop, caractéristique fondamentale de « l'Unité Culturelle de l'Afrique Noire », qui structure le berceau de la civilisation agricole australe, dans lequel les femmes occupent des positions centrales. A travers cet ouvrage, nous percevons les pratiques de ce que l'anthropologue nigérian Ifi Amadiume a conceptualisé comme "l'unité matricentrique", avec une attention aux institutions dirigées par des femmes dans diverses sociétés africaines 

Une autre référence importante concerne les études sur la décolonisation des genres par la philosophe yoruba Oyeronke Oyewumi qui a muri le concept de « matripotence » pour étayer  l'importance de la figure maternelle dans les “cosmoperceptions” africaines. Pour écrire le livre, j'ai fait des recherches sur les traditions culturelles de 30 peuples différents en Afrique, en essayant de couvrir toutes les régions du continent.  J'ai utilisé une variété de sources, des documents écrits trouvés dans les archives, des proverbes, des iconographies, des pièces d'art africain disponibles sur les sites Web des musées du monde entier, des images de danses, de combats, de rites d'initiation, tout ce qui fait référence au pouvoir des femmes.

NF: Quels sont les principaux thèmes du livre?

MB: Le thème principal du livre est précisément le pouvoir féminin dans l'histoire africaine sur une longue période. On observe qu'il existe une conception politique ancestrale largement dispersée à travers le continent, celle de garantir un espace pour les femmes. Plus que des biographies, le livre explore les institutions politiques, comme celle des reines mères, que l'on retrouve dans de nombreuses sociétés. 

L'organisation du pouvoir politique est discutée, en particulier des institutions comme Asatehema chez les Akan/Asante, Magira dans le Kanem-bornu, Iyoba chez les Edo du Vieux-Bénin et Kpojito au Dahomey. Mais il se focalise aussi au sens du pouvoir au-delà du commandement des États pour embrasser l'économie. C’est le cas des femmes Ekwe, leaders du marché chez les Igbo, qui ont mené la "guerre des femmes ( Ogu Umunwanyi en Ibo) à Aba, au Nigeria en 1929.

On pense aussi au pouvoir militaire, chez les femmes qui ont effectivement combattu dans les guerres et contrôlé les armées. Il y a plusieurs exemples : Amina, reine de Zaria du peuple haoussa, Iyoba Idia des Ahosi du Dahomey - popularisées aujourd'hui par le film Women King -  et Josina Machel.  Les femmes sont guerrières depuis des siècles. Le combat n'est pas un espace masculin par définition. Dans certaines cultures, il existe des arts martiaux pratiqués par les femmes, comme le combat traditionnel Diola de Casamance. Ces aspects sont également décrits dans le livre.

NF: Dans quelle genre peut-on classer le livre ?

MB: Le livre a été pensé pour être un livre paradidactique, pour toucher les écoles. Bien qu'il soit le résultat de recherches universitaires, ce n'est pas un livre académique, fait uniquement pour les historiens. Il entend apporter la recherche historique à un large public, en particulier en pensant à l'éducation,  fournir des ressources didactiques aux enseignants afin que l'histoire de l'Afrique soit effectivement enseignée dans les écoles.

Je crois que pour séduire les jeunes, il faut travailler avec un langage simple, avec beaucoup d'illustrations, d'images, de phrases courtes, telle est notre proposition à travers le livre.

Ici, je dois saluer la participation des illustrateurs. Il y avait 23 artistes impliqués dans le projet, principalement des femmes brésiliennes noires. Mais, nous avons également eu la collaboration d'un artiste d'Angola et d'un autre du Cameroun, notamment Djehuty Biyong, un écrivain et illustrateur camerounais avec d'excellents livres sur l'histoire africaine. C’ est un bon partenaire.

Les illustrations ont un énorme potentiel pour transmettre des valeurs culturelles, montrer les insignes de pouvoir de chaque société. Chaque illustration a été réalisée à partir des recherches historiques que j'ai fournies aux artistes, pour créer des représentations positives de femmes noires en position de pouvoir, avec leurs turbans, bracelets, colliers... en rupture avec l'image de la princesse des films Disney, avec pantoufle de verre, robe en satin. Ici, nous voyons la royauté noire à partir de ses propres symboles. Il est très important que les enfants et les jeunes apprennent ces références historiques.

NF: Pourquoi l'enseignement de l'histoire et de la culture africaines est-il important au Brésil ?

MB: Au Brésil, nous avons une loi qui oblige l'enseignement de ce contenu depuis 2003, mais malheureusement il y a encore un énorme manque de connaissances sur les cultures africaines. Cette loi est le résultat de décennies de mobilisation des mouvements noirs, qui connaissent la nécessité de valoriser l'identité noire et les cultures africaines. Connaître l'histoire de l'Afrique permet une reconnexion ancestrale, la "renaissance de la conscience historique" selon Cheikh Anta Diop, capable de reconnecter les Noirs à la grandeur de leur passé, interrompu par l'esclavage.

Notre production académique a beaucoup avancé, mais il y a encore peu de dialogue avec l'éducation de base. Une grande partie de ce que nous produisons dans les universités est limitée au milieu universitaire et n'arrive pas là où elle devrait : les salles de classe.

NF: Quelles sont les difficultés rencontrées lors de sa rédaction ?

MB: La plus grande difficulté était d'accéder aux sources et pour résoudre cela, j'ai eu le soutien de plusieurs amis qui vivent sur le continent. Ils m'ont aidé à localiser des documents et à en traduire certains. Mon désir est de présenter la perspective africaine, en combattant l'eurocentrisme. Ce qui est difficile à faire depuis le Brésil, puisque la plupart des livres qui arrivent ici sur l'Afrique sont écrits par des Européens ou des Nord-Américains. C'est pourquoi la collaboration d'amis africains a été si importante car elle m’a mis en contact avec la production réalisée sur le continent.

Une autre difficulté était de penser aux concepts propres aux langues africaines, en évitant au maximum les traductions. Comme l'a dit le Kenyan Ngugi wa Thiong'o, les langues contiennent des systèmes de pensée, et nous devrions essayer de comprendre les concepts au sein de chaque système culturel, et non de traduire dans les langues occidentales, ce qui finit par générer des conflits. Par exemple, le mot Oba, en yoruba, a été traduit en anglais par roi, mais Oyewumi explique qu' Oba n'est pas un mot genré, lorsqu'il est introduit en anglais, on pense que seuls les hommes pourraient être Oba, ce qui n'est pas vrai. 

Nous cherchons donc à présenter au public la compréhension des titres selon la conception de chacun. Le terme "reine" qui compose le titre en portugais est problématisé, car en portugais on pense reine comme le féminin de Rei, comme la compagne. Quand on regarde le titre wolof Linguer, par exemple, on se rend compte que Linguer n'est pas le feminin de Roi ou de Brack. 

Linguer est un titre exclusivement féminin issu des 4 matrilignages fondateurs. Le choix de Linguer n'a rien à voir avec l'élection de Brack, ce sont des instances politiques autonomes et indépendantes, mais elles agissent en harmonie. Linguer n'est pas nécessairement la femme de Brack. Il est donc important d'expliquer les concepts, pas seulement de les traduire par reine.

NF: Quelles sont les distinctions, s'il y en a, reçues grâce au livre ?

MB: Pour moi, la plus grande gloire est de recevoir des commentaires du livre utilisé en classe, des enseignants qui parlent de la façon dont le livre transforme les perceptions des élèves, comment il contribue à la décolonisation des esprits et aide à penser cette Afrique riche, puissante et belle .

Comme c'est un livre produit par moi, dans une petite maison d'édition indépendante, il est difficile, pour l’instant, de participer à de nombreux événements littéraires, mais ce n'est d’ailleurs pas l’objectif principal, le plus important est d’atteindre les salles de classe. C'est ce qui m'apporte le bonheur.

NF: Estimez-vous avoir fait le tour des  reines africaines ? Y a -t-il d'autres projets du genre en cours ou en  vue?

MB: Il est important de dire qu'il y a des centaines de femmes qui méritent d'être reconnues comme des reines en Afrique. J'en ai apporté 30 dans ce livre, mais ça pourrait être 300. Je crois qu'il serait intéressant d'écrire un autre volume sur les femmes africaines musulmanes, qui ont été fondamentales dans le développement éducatif et social en Afrique, comme Fatima al-Fihri, fondatrice de la  première université du monde, au Maroc, au IXe siècle. Nana Asma'u, fille d'Usman Dan Fodio, du califat de Sokoto, qui a contribué à la scolarisation des jeunes. Nous avons également Mame Diara Bousso, mère de Cheikh Ahmadou Bamba, considérée comme une femme pieuse et sacrée par les Mourides du Sénégal. Je pense qu'il est important d’aprehender l’islam autrement. Car en Occident, il y a l'idée erronée que les femmes musulmanes sont opprimées et réduites au silence, et quand on regarde ces trajectoires, on se rend compte que ce n'est pas une vérité historique.

Mon projet de recherche actuel est de plonger dans l'histoire d'Aline Sitoe Diatta, prophétesse Diola de Casamance, au Sénégal, au XXe  siècle. Pour cela, j'ai besoin de faire des recherches plus approfondies auprès du peuple Diola pour bien comprendre le rôle de la femme et l'importance de cette prêtresse qu'on appelle désormais reine et qui est considérée comme l'héroïne nationale du Sénégal.

NF: Mot de fin.

MB: Je tiens à remercier infiniment l'éditeur Akoma Mba pour l'effort de traduction de ce livre en français et en anglais et d'assurer sa diffusion en Afrique. J'ai reçu d'autres invitations d'éditeurs nord-américains mais j'ai décidé de privilégier Akoma Mba pour favoriser le public africain. Pour moi c'est très important d'être lu par les jeunes en Afrique, de contribuer à la décolonisation des systèmes éducatifs, de renforcer les cultures africaines. C'est un grand honneur de participer à cet événement et de collaborer pour que le monde connaisse la beauté, la richesse et le pouvoir des femmes africaines.

La version vidéo est disponible via ce lien :https://bit.ly/conversationavecprofesseurmariannabracks

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