Dans le cadre de nos actions de promotion numérique de la lecture en Afrique, Muna Kalati s’intéresse aux initiatives africaines innovantes qui contribuent à la promotion du livre et de la culture. Nous sommes allés à la rencontre de trois Ivoiriens :
YOZAN BI Abel-Trésor, responsable du service Marketing et commercial
YOZAN BI Adriel Junior, Responsable du Service Informatique
Mlle N’Guessan Affouet Marie-Claire, responsable du service Communication et juridique
Ils se sont mis ensemble pour créer en mars 2019 Amadiora, une plateforme de bandes dessinées numériques africaines conçues par des Africains, pour les Africains et le monde. Dans cet entretien, ils nous partagent l’origine, l’évolution et les différents succès et challenges de cette initiative. Et surtout, comment vous pourriez contribuer à la réussite : en achetant leurs BD.
Pourriez-vous nous présenter les objectifs poursuivis par Amadiora ?
Les objectifs d'Amadiora peuvent être présentés en 4 points :
Encourager la représentation africaine et afro-descendante dans le monde de la bande dessinée.
Augmenter la visibilité des talents africains et afro-descendants afin que ces auteurs puissent augmenter leurs revenus du fait de la mondialisation et de la commercialisation de leurs œuvres.
Créer une habitude pour les dessinateurs africains et afro-descendants à se dessiner eux-mêmes, d'illustrer leurs cultures et leurs habitudes liées à leurs paradigmes d'une part, et d'autre part habituer les jeunesses africaines et afro-descendantes à se voir représenter au travers de personnages qui leur ressemblent.
Partager avec le monde entier les points de vue, les réalités ainsi que l'histoire du monde telle que perçue par les Africains et Afro-descendants, avec authenticité.
Quelle est l’origine du projet Amadiora ?

Nous sommes des amis d’enfance ayant grandi quasiment ensemble dans le même quartier en Côte d’Ivoire. L’amour de la lecture, de la découverte des us et traditions d’ailleurs, de la recherche de revalorisation de l’Homme noir, notamment africain et afro-descendant, sont des points qui nous ont rassemblés.
Depuis tout jeune, nous lisons les bandes dessinées. Cependant, très peu ou aucune des bandes dessinées ne nous permettaient de nous identifier aux personnages représentés. Aucunes de nos réalités n'y étaient dépeintes. Au mieux, il y avait des idées préconçues ou des caricatures avilissantes de l'Homme noir. Aussi, ayant remarqué les talents extraordinaires des dessinateurs africains, qui n'avaient clairement, à notre avis, rien à envier à leurs compères d'ailleurs, nous ne comprenions toujours pas la raison pour laquelle les artistes africains avaient tant de mal à vivre décemment. Ayant grandi, nous avons souhaité remédier à ce que nous estimons être un problème identitaire en apportant notre pierre à l’édifice : Amadiora.
En quoi est-elle différente des projets similaires existants ? Quelle est sa valeur ajoutée ?
Amadiora se veut être une plateforme où les œuvres présentées ne sont pas une ''coloration en noir'' de cultures d'ailleurs. Nous ne pensons pas, par exemple, qu'un super-héros doive forcément porter un collant et/ou avoir une cape pour être reconnu comme tel. Nous pensons que les cultures noires du monde entier regorgent d'histoires à raconter. Nous souhaitons en être un porte-étendard.
Autre point nous différentiant, Amadiora effectue la traduction en 3 langues des travaux disponibles (français, anglais et japonais), ceci afin de toucher le plus de monde possible et d'accroitre de ce fait les revenus des artistes Afros.
Quels sont les progrès ou réalisations jusqu’à ce jour ?

Cette question est assez ambiguë. Cependant, nous pourrions dire que, mise à part la présence effective de la plateforme Amadiora sur internet depuis mars 2019, les dessinateurs africains étant rentrés en contact avec Amadiora se dessinent eux-mêmes de plus en plus et s'imaginent mieux.
Il reste néanmoins énormément de travail à faire sur la façon dont nous, Africains et Afro-descendants, nous percevons nous-mêmes. Nous estimons que pour pouvoir apporter quelque chose au monde, il nous faut effectuer un repli et comprendre qui nous sommes, en quoi nous sommes différents, se remémorer notre histoire, raconter nos contes et légendes à tous les publics. Une fois cela fait, nous aurons une meilleure idée de notre importance en tant que noir dans le monde.
Quelles sont les difficultés principales que vous rencontrez dans la réalisation de votre projet ?
Premièrement, les Afros, de manière générale, lisent très peu ou pas du tout. Ceci les rend difficilement accessibles. Deuxièmement, l'impact des modèles asiatiques et occidentaux est encore perceptible. Les dessinateurs trouvent donc difficile de se détacher des habitudes acquises depuis plusieurs années. Mais le changement est en évolution constante.
Ceci ralentit considérablement l'explosion des talents Afros. La majorité des personnes se contentent souvent de « likes » et de commentaires sur les réseaux sociaux.

Comment les surmontez -vous ?
À ce jour, nous surmontons les difficultés en faisant connaitre Amadiora par le biais d’articles de presse, de publications sur des réseaux sociaux ou encore en accordant notre soutien à d’autres initiatives visant l’éveil de la conscience noire, tels que des évènements culturels.
Bien qu’étant ouverts à toutes collaborations susceptibles de nous aider à atteindre nos objectifs, nous ne collaborons présentement pas avec d’autres entrepreneurs du milieu. Il y a eu quelques tentatives, mais qui ne sont pas allées bien loin. Il faut admettre qu’il est difficile de trouver des personnes prêtes à travailler pour changer la perception que nous, Afros, avons de nous et, dans le même temps, que les autres ont de nous. Ces personnes peuvent aussi avoir des perceptions différentes de la nôtre concernant la méthode à suivre, même si nous partageons des objectifs communs.
De quel soutien ou appui auriez-vous besoin pour accroître l’impact de votre initiative et en accélérer le développement ?
Le seul soutien véritable est d'abord que les Afros comprennent que la bande dessinée est un outil d'éducation et de partage de leurs cultures et de leurs opinions sur les directions à donner au monde. En achetant les œuvres africaines, ils donnent l'opportunité à leur histoire de vivre et de se perpétuer. Les mangas, par exemple sont utilisés comme véhicule et outil de promotion (souvent même de propagande) de la culture japonaise au point où l'on a l'impression de connaitre le Japon sans jamais y être allé.
Mais seuls les Japonais décident de l'image qu'ils souhaitent présenter ! Est-ce la vérité ? Seulement en y allant, vous le saurez. C'est donc un levier de tourisme, donc d'économie ! !
Quel est l’impact de cette initiative sur la promotion du livre et de la lecture ?
Comme présenté plus haut, les dessinateurs noirs se dessinent eux-mêmes de plus en plus. Le fait de ne plus avoir particulièrement besoin de respecter les désiratas de certaines maisons d'éditions qui, souvent, de manière explicite, demandent le blanchiment des personnages des histoires qui leur sont présentées, favorise une certaine tranquillité dans la création artistique des Afros.
Ceux-ci sont réconfortés dans l’idée de pouvoir prendre la place du personnage décrit et d’accomplir ses exploits. Avoir une diversité de livres dans lesquels les jeunes se retrouvent les pousse à vouloir découvrir comment ils peuvent être dépeints dans divers registres (aventure, romance, fiction…). Pour ceux, par exemple, qui ne connaissent pas leurs cultures, le fait d’avoir des écrits/dessins sur les traditions de leur pays peut les mener à faire davantage de recherches, à se procurer des ouvrages leur permettant d’en apprendre un peu plus.
Comment envisagez-vous l’industrie du livre et de la lecture dans les 5 à 10 prochaines années ? De plus en plus, le désir d'expression des talents Afros, sans dilution aucune, prend le pas sur la censure systématique. Dans quelques années, le marché de la bande dessinée sera plus présent dans les habitudes des Afros. Et vu la propension pour l'art afro à être consommé dans le monde entier, si nous réalisons l'importance de ce secteur dans le tissu économique de nos pays, nous devrions voir la transition de la bande dessinée vers l'animation et la cinématographie. Mais tout dépend d'abord de la place que nous donnons à nos produits. Si nous les consommons, ils continueront sans cesse de croitre et de s'améliorer.
Nous remercions l’équipe d’Amadiora de nous avoir accordé ces moments d’échanges et nous leur souhaitons tout le meilleur. Une fois de plus, le meilleur moyen pour les soutenir, c'est d’acheter leurs œuvres. Vous pouvez découvrir leurs produits et services ici.Vous pouvez également les suivre sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Youtube.
Twitter : https://twitter.com/Amadiora1?lang=en