De la lecture comme contrainte à la lecture-plaisir

L’une des principales motivations à la lecture chez les jeunes enfants est de voir leur entourage lire et en tirer manifestement plaisir. La famille a donc un rôle exemplaire à jouer, bien avant que l’école ne prenne le relais. En effet, le gout de la lecture apparait d’abord par imitation. Et puis, le plaisir aidant, la motivation s’intériorise et l’enfant se met à rechercher ce plaisir. La motivation est un élément déterminant pour la réussite de l’enfant qui apprend à lire, et les lecteurs sont plus enclins à s’intéresser aux textes qui reflètent leurs expériences personnelles. Mais cela ne suffit pas. Pour que l’imitation se transforme en motivation profonde, il faut que l’enfant ait la liberté de construire son propre projet de lecteur.
Or, au Cameroun, le grand défi des parents, des enseignants et autres médiateurs de lecture est de parvenir à inciter sans contraindre. En fait, toute contrainte à lire réduit la liberté nécessaire à la construction d’un comportement de lecteur. Chaque fois que l’on fait pression sur les jeunes pour qu’ils lisent, on va à l’encontre de l’effet recherché. Et quand les jeunes lisent moins, on augmente encore la pression sur eux.
Répéter constamment à l’enfant : « Tu dois lire », « c’est sérieux et utile » ; « Tu ferais mieux de lire au lieu de… », sans en donner soi-même l’exemple, c’est déjà le début d’une contrainte. En revanche, emmener l’enfant à la bibliothèque, lui proposer une activité ludique à propos d’un livre, c’est une incitation, non une contrainte.
Encore faut-il alors que les livres tiennent leurs promesses, qu’ils passionnent le jeune lecteur. La lecture peut sembler une activité de peu d’intérêt pour des jeunes Africains qui ont rarement l’opportunité de s’identifier aux personnages. Il est possible de voir en eux un désengagement pour toutes activités associées à la littérature s’ils ne parviennent jamais à se reconnaitre dans les textes. Ces derniers devraient normalement leur ressembler et présenter des histoires reflétant leur culture et leurs expériences personnelles. S’ils constatent que la lecture joue un rôle dans leur propre vie, cela soutiendra leur motivation et leur intérêt pour le livre.
En étudiant le comportement de lecture des jeunes camerounais à Yaoundé, Louise Balock est arrivée à la conclusion que les enfants qui ont une habitude de lecture régulière sont issus de familles ayant un niveau social élevé. Le résultat de son étude confirme les travaux de Bourdieu sur le rôle de l’éducation dans la consommation culturelle, quelle que soit la pratique culturelle visée (lecture, spectacle, cinéma, musée).
Voici quelques astuces pour inciter votre enfant, adolescent ou jeune à lire.

Attiser la curiosité et l'envie.
L’homme tout comme l’enfant est attiré par l’interdit. Je me souviens qu’au Cameroun, certains lieux publics ayant la notice « N’urinez pas ici SVP » étaient plutôt ceux où la pratique était devenue très régulière. Mais lorsqu’on avait changé la notice puis inscrit « Urinez ici SVP ! » Nous avons besoin de vos urines. » Les citoyens avaient drastiquement cessé de le faire. Cette petite digression vise tout simplement à montrer qu’on peut en faire de même pour une bonne cause.
Comment ? Avec la complicité d'un grand(e) frère/sœur ou cousin(e) qui veut prêter un livre à vos enfants. Vous argumentez que ce n'est pas de leur âge (alors que c'est le cas en réalité) :) et que ce sera pour une prochaine fois. Si l'un d'eux insiste assez, c'est presque gagné.
Créez une mini-bibliothèque à la maison.
Le fait d’avoir une variété de livres jeunesse avec des BD, des romans fantastiques, etc., à portée de main facilitera le contact et l’amour du livre. Par exemple, si la chambre de votre enfant est assez grande, aménagez un espace pour ranger ses livres.
Développer des activités ludiques autour du livre et éventuellement prévoir des récompenses pour aiguiser la motivation de votre enfant ;
Familiariser votre enfant avec le livre en l’amenant, par exemple, à la bibliothèque, même s’il est encore tout petit. Lorsque vous y êtes, proposez-lui de beaux livres avec des couvertures attirantes ou intrigantes pour susciter son gout de les lire.
Intéressez-vous à ses livres.
Eh oui ! Il ne suffit pas de donner des livres à votre enfant et de s’attendre à ce qu’il les adore instantanément. Vous devez, parfois, lire quelques pages avec lui ou elle pour lui montrer que ce livre ou CETTE BD a de l’intérêt. Personne n'est dupe, encore moins les jeunes.
Lisez également autour de lui. Vous voir lire est la meilleure preuve de l’importance du livre. On ne saurait prêcher ce qu’on ne pratique point. Et l’exemple vaut mieux que mille paroles.

Organiser des activités de lecture en famille où vous pourrez lire le livre ensemble et à haute voix. Ce faisant, il faut créer un rituel, un rendez-vous régulier de lecture (par exemple, le soir avant le coucher ou après le repas, le temps de la digestion) qui ancrera naturellement ce moment de la journée comme celui de la lecture et gommera l'effet obligation jusqu'au jour où ils s'approprieront, seuls, ce moment privilégié. Cela peut prendre du temps : plusieurs semaines, plusieurs livres. Mais en sélectionnant bien vos lectures communes, vous en tirez autant de plaisir de vos nouveaux complices et futurs adeptes de la lecture.
Proposer une grande variété de livres jeunesse. Cela permet à l’enfant d’explorer et de trouver ce qui sied à son gout. Si votre enfant est tout petit, vous pouvez lui proposer des livres. Mais n’attendez pas qu’il ait fini d’en lire un pour lui en acheter un autre. C’est aussi absurde qu'imaginer lui acheter une seule paire de chaussettes, attendant qu'elle s'use avant d'en acheter une autre. Il faut plutôt lui en proposer qu’il les ait terminés ou non, car à force de voir plusieurs auteurs, plusieurs univers, des couvertures différentes, il y aura peut-être un déclic. Un mot dans le résumé, une page ouverte au hasard, le souvenir qu'un copain lisait ce livre, etc.
La liste est loin d'être exhaustive,, mais c'est un début. J’espère qu’ils vous permettront cependant d’aider votre enfant à aimer la lecture et à y prendre goût.
Connaissez-vous d’autres astuces ? Comment avez-vous développé de l’intérêt pour le livre et la lecture ? Vos parents y ont-ils joué un rôle ? Lequel de ces conseils vous semble être le plus important ? Prière de partager votre avis en commentaire.
Afropolitainement votre…
Notes et références
À ce propos, Pierre Erny se prononce : « Quel que soit le type de société que l’on envisage, les enfants assimilent les modèles de comportement social, les idées sur la vie de famille et la conduite de l’existence, les systèmes de valeurs en rapport avec les données socioéconomiques, dans une mesure beaucoup plus grande, en extension et en intensité, hors de l’école qu’à l’intérieur. » Cf. Pierre Erny, op. cit. Jocelyne Giasson, La lecture : apprentissage et difficultés, Boucherville, Gaetan Morin, 2011, p. 41.
Pouliot, Suzanne, « Les personnages africains dans la littérature québécoise de jeunesse », vol.7, 2005, p. 22-37.
À ce propos, le RIPAO, en partenariat avec la CDA et APC, porte Africa-Gawlo, un projet de production et de diffusion d’une émission télévisée de débat structuré et contradictoire sur le livre au Cameroun, prenant en compte les traditions orales. Émission de divertissement, elle se veut de type éducatif, ludique (animation) et compétitif pour une durée maximale de 120 minutes par enregistrement. Son but ultime est de contribuer à la facilitation de l’accès au livre chez les jeunes, à la promotion de la lecture ludique via l’oralité, à la vulgarisation des pratiques orales traditionnelles et modernes grâce aux médias et à la promotion de la langue française et de la francophonie. Au-delà de l’art oratoire, le projet présente un caractère social. Il s’agira, à travers la publicité, les votes ludiques et les paris engendrés par le championnat, de soutenir les meilleurs orateurs dans leurs projets personnels.
Flake, Sharon. « Who Says Black Boys Won't Read ? » Journal of Children’s Literature, NO 34, pp. 13-14. En ligne : http://connection.ebscohost.com/c/articles/31869917/who-says-black-boys-wont-read]. Consulté le 05.09.2016 à 05 :18.
Anne-Marie DIONNE, « La mosaïque culturelle du Canada dans la littérature de jeunesse de langue française : une analyse des albums, de 2003 à 2012 », in Études ethniques au Canada, CES Volume 46, n°2, 2014, pp. 75-98.
Balock Louise Lutéine, « Les adolescents et la lecture à Yaoundé : contribution à la mise en œuvre d’une politique de développement de la lecture », IFLA, 2014, p. 23.
Bourdieu, « ART (Aspects culturels) - La consommation culturelle », Encyclopædia Universalis, consulté le 02-01-2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/art-aspects-culturels-la-consommation-culturelle/