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Pourquoi faut-il que les parents lisent plutôt qu'expliquer l’utilité du livre aux enfants ?

Muna Kalati Comms

Dernière mise à jour : 7 mars


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Brandon est un jeune élève au lycée technique de Mbanga. Âgé de 19 ans, il n’a presque jamais pu achever la lecture d’un livre. Il sait pourtant que la lecture est importante : ses parents le lui disent souvent, bien qu’il ne les ait jamais vus tenir un livre… Son enseignante de français aussi ne cesse de le lui rappeler lors des leçons de littérature. C’est uniquement durant cette tranche horaire qu’il avait l’opportunité de flirter avec la lecture. Tous les livres dont il avait commencé la lecture étaient d’ailleurs des ouvrages inscrits et exigés dans le programme scolaire. À travers une activité de lecture par semaine, l’enseignante se rassurait que tous les élèves présentaient les devoirs de synthèse littéraire qu’elle leur avait donnés en semaine. Mais ce qu’elle ignorait, c’est la majorité de ses élèves, dont Brandon, ne lisaient point les textes en question pour pouvoir le résumer. Ils se contentaient de trouver un résumé en ligne qu’ils copiaient directement ; les plus intelligents modifiaient légèrement pour masquer le plagiat…


Cette pratique, encore appelée « copier-coller », est très répandue auprès des jeunes. Exposés très tôt aux mondes numériques, il devient de plus en plus difficile de les séparer pour les orienter vers le monde littéraire, où ils peuvent se retrouver en tête-à-tête avec l’imagination.


En outre, Brandon n’est qu’un élève parmi une pléthore – environ une soixantaine d’élèves – il est donc plus difficile pour l’enseignante d’effectuer un suivi efficace au niveau des projets de lecture individuels. Il ne s’agit là que d’un obstacle parmi tant d’autres que rencontrent les enseignants camerounais (ou africains) dans leurs démarches pour transmettre le goût de la lecture jeunesse. Comment y remédier ? Comment l’imitation peut-elle inciter les jeunes à lire davantage ? Telles sont les questions auxquelles notre analyse entend répondre. Nous présenterons l’importance de l’imitation et comment l’influence des adultes ou des pairs promeut la lecture-plaisir chez la jeunesse.


C’est quoi l’imitation ?


Edouard Thorndike définit l'imitation comme étant le fait « d’apprendre à faire un acte en le voyant faire ». L’imitation est l’une des facultés qui joue un rôle fondamental dans la croissance de tout enfant. Dès la naissance, les nouveau-nés sont capables d’imiter. Ils peuvent ouvrir la bouche, tirer la langue ou cligner des yeux par imitation.

D’après Michael Tomasello, l’imitation assure une double fonction : une fonction d’apprentissage qui permet aux personnes d’apprendre de nouvelles actions en observant les actions des autres et une fonction de communication qui implique des composantes essentielles dans toutes formes d'interaction. Comment l’imitation promeut-elle le gout de la lecture auprès de la jeunesse ? Nous allons particulièrement le démontrer à travers l’influence des adultes et celle des pairs.


  1. L'influence des adultes

Un fameux proverbe malien déclare : « L'ouverture par laquelle passe le chef, les autres aussi y passent. » Autrement dit, tout le monde doit suivre le chef. Les petits imitent les grands. Et il en est de même pour la lecture. Dès le plus jeune âge, les enfants observent les adultes et tentent de reproduire ce qu'ils font.

Plutôt que de se tourner vers leurs enfants pour leur expliquer l’importance de la lecture, les parents devraient plutôt les laisser apprendre en observant et en imitant les adultes qui les entourent. Et comme l’expliquait Garat :

« Il ne s’agit pas tant de coller entre les mains des enfants de jolis livres, pleins de belles images, de les habituer à tenir cet objet entre les mains, à tourner les pages, technique instrumentale et technique du corps, hautement culturelles, mais qui restent improductives et stériles si elles ne sont pas vécues dans une relation à l’autre. » Il s’agit bien davantage de lire avec les enfants, pour eux, de les tenir sur les genoux. <…> Il s’agit du temps, du temps passé à lire ensemble. »  Garat, 2005, p. 67.

L’université d’Oxford, dans un rapport d’étude menée au Royaume-Uni auprès de 1000 parents et enfants de 6 à 11 ans, révèle que de nombreux parents cessent de lire avec leurs enfants dès l'âge de sept ans, alors que les experts estiment que seulement 10 minutes par jour peuvent faire une différence considérable dans leur niveau de scolarité. James Clements, superviseur du rapport, déclare :

« Avec toutes les recherches qui prouvent que la lecture pour le plaisir est inextricablement liée à la réussite et profite à tous les aspects de la vie des enfants, les parents doivent comprendre l'énorme impact que la lecture avec leurs enfants peut avoir et combien il est vital que la lecture pour le plaisir ne s'arrête pas à la porte de l'école, mais se poursuive à la maison. »

Mary Hamley, éditrice aux Presses universitaires d’Oxford, insiste :

Donner aux enfants l'amour des livres est l'un des plus grands cadeaux. L'engagement parental fait une réelle différence dans le succès des enfants.  Savoir lire est vital, mais cela ne suffit pas, il faut inculquer l'amour de la lecture à chaque enfant. Les avantages d'atteindre cet objectif vont bien au-delà de l'éducation primaire d'un enfant, avec un impact direct sur ses chances futures dans la vie. »

Par expérience, nous savons que la majorité des enfants au Cameroun font rarement ou jamais la lecture à la maison avec leurs parents. Les parents de basse classe sociale sont davantage préoccupés par la recherche du pain quotidien de subsistance, ceux d’une classe sociale moyenne se concentrent sur l’accumulation des richesses, et ce sont parfois les parents nantis qui prennent la peine d’acheter des livres pour leurs enfants. Mais ils se prêtent difficilement à l’exercice de lecture en compagnie de leurs enfants, sauf s’il s’agit d’un exercice littéraire scolaire qui nécessite leur intervention.


Cela est bien dommage, car, comme nous l’avons démontré ci-dessus, les salles de classe aux effectifs pléthoriques rendent compliquer l’apprentissage effectif de la lecture par les élèves. Les parents doivent donc compléter les enseignements par des activités ludo-éducatives ou littéraires à la maison avec leurs enfants. Conscient de cette lacune, notre magazine Muna Kalati fournit aux parents des conseils pour aider leurs enfants à s'engager dans la lecture. Nous donnons des conseils pour trouver le temps de lire, quels livres choisir et comment tirer le meilleur parti des livres avec vos enfants.  


2. L'influence des pairs.

Certains enfants, désintéressés par la relation asymétrique avec un adulte lecteur-expert, pourraient trouver un intérêt à explorer l’objet livre dans une relation duelle avec un autre enfant, favorisant la mise en place des conduites d’imitation et d’empathie. En effet, l’enfant peut trouver dans la relation avec un pair ayant des compétences légèrement supérieures un levier motivationnel permettant un développement des compétences. Par exemple, partager des temps fraternels de lecture peut influencer la rencontre de l’enfant avec le livre, particulièrement par les processus d’identification et d’imitation. Notamment en voyant ses sœurs et frères manipuler l’objet-livre, lire des livres ou mimer l’activité de lecture ou mettre en œuvre des efforts considérables pour déchiffrer le code.

Conclusion

Le livre constitue une base dans la mise en place des prérequis indispensables à l’apprentissage de la lecture que sont l’intérêt pour le livre, le développement du vocabulaire, la capacité à transférer des représentations de modalités sensorielles différentes par l’imitation, l’envie de faire comme les grands et d’accéder au plaisir de lire. L’imitation est ainsi cruciale dans l’apprentissage de la lecture et le développement du gout de lire ! Le simple fait de laisser les enfants observer et imiter les adultes ou leurs pairs leur permet d'apprendre des autres, mais aussi d'apprendre sur les autres. Il est cependant important de mener des études plus approfondies sur le rôle des pairs dans la rencontre du jeune enfant et du livre pour apporter des éléments de compréhension supplémentaires de l’entrée de l’enfant dans le livre jeunesse.


Références

 Edward L. Thorndike, « Review of Animal Intelligence : An Experimental Study of the Associative Processes in Animals. », 1898.

 Michael Tomasello, Ann Cale Kruger et Hilary Horn Ratner, « Cultural learning », Behavioral and brain sciences 16, no 3 (1993) : 495–511.

 « Oxford University Press – OUP research reveals importance of reading for pleasure », consulté le 07 décembre 2018, https://global.oup.com/news-items/archive/oup_research_reveals_importance_of_reading_for_pleasure?cc=za.

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